Le Procureur de la Cour pénale internationale procède à un nouvel examen préliminaire de la situation en Irak

Le 13 mai 2014, le Procureur de la Cour pénale internationale, Madame Fatou Bensouda, a annoncé l’ouverture d’un nouvel examen préliminaire de la situation en Irak.

L’article 15§1 du Statut de Rome (le Statut) permet en effet au Procureur d’ouvrir un examen préliminaire de sa propre initiative, en l’absence de renvoi par un ou plusieurs États parties. Cet examen est la procédure par laquelle le Procureur détermine si une situation répond aux critères juridiques fixés par le Statut lui permettant de demander à la Cour d’ouvrir une enquête.

L’examen préliminaire comporte trois phases successives, qui correspondent à trois critères cumulatifs éclairant la décision du Procureur relative à l’opportunité de solliciter auprès de la chambre préliminaire l’ouverture d’une enquête :

– La compétence de la Cour : les éléments reçus par le Procureur doivent fournir une base raisonnable pour croire qu’un crime relevant de la compétence de la cour a été ou est en voie d’être commis (art. 53§1-a du Statut).

– La recevabilité de l’affaire : l’affaire doit être recevable, notamment au regard des exigences relatives à la gravité des faits et à la complémentarité avec les procédures nationales (art. 53§1-b du Statut).

– Les intérêts de la justice : l’ouverture d’une enquête doit « servir les intérêts de la justice » (art. 53§1-c du Statut).

En marge, il convient de relever la nature quasi-juridictionnelle des analyses du Bureau du Procureur, visant pourtant à solliciter auprès de la chambre préliminaire l’ouverture d’une enquête.

I/ La situation en Irak, préalablement clôturée

La situation en Irak avait initialement fait l’objet d’un examen préliminaire, à l’initiative du précédent Procureur, Monsieur Luis Moreno Ocampo. Le Bureau du Procureur avait alors reçu plus de 240 communications (ICC Doc. pids.009.2003-EN), provenant de diverses institutions, gouvernementales et non-gouvernementales. Par une lettre datée du 9 février 2006, le Procureur Ocampo mettait un terme à l’examen préliminaire, concluant qui n’existait pas de base raisonnable pour poursuivre. Les allégations portaient sur plusieurs chefs d’accusation :

– Tout d’abord, sur la légalité du conflit se déroulant sur le territoire irakien. La Cour n ‘exerçant pas, ni à l’époque ni à ce stade, sa compétence sur le crime d’agression ; le Procureur avait estimé ne pas détenir de mandat sur cette question, qu’il éluda immédiatement.

– Ensuite, sur des crimes de génocide et des crimes contre l’humanité. Manquant d’indices satisfaisants, le Procureur avait conclu qu’il n’existait pas de base suffisante pour engager des poursuites.

– Enfin, sur des crimes de guerres, constitués d’une part d’homicides intentionnels et de traitement inhumain de personnes civiles et, d’autre part, de prise pour cible de civils et d’attaques manifestement excessives. Bien que soutenues par des indices satisfaisant, le Procureur Ocampo avait écarté ces allégations par un double argument :

o   S’agissant de la gravité, « le nombre de victimes potentielles de crimes relevant de la compétence de la Cour dans cette situation – de 4 à 12 victimes d’homicide intentionnel et un nombre limité de victimes de traitement inhumain – était d’un ordre différent du nombre de victimes relevées dans d’autres situations faisant l’objet d’une analyse par le Bureau du Procureur. » (ICC Doc. OTP-2006-02-09).

o   S’agissant de la complémentarité, « lorsque de nouvelles informations en matière d’abus présumés sur des détenus ont été révélées, le Bureau du Procureur a recueilli des renseignements. Des procédures nationales ont été entamées en ce qui concerne ces allégations et le bureau du procureur a recueilli des informations concernant ces procédures. ». (ICC Doc. OTP-2006-02-09).

 

II/ Un « nouvel » examen préliminaire : ciblé

Il est intéressant de mettre en exergue le vocabulaire utilisé par le communiqué de presse du 13 mai 2014 de la Cour. En effet, il n’est pas question de la réouverture de l’examen préliminaire de la situation en Irak clôturé le 9 février 2006, mais d’un « nouvel examen préliminaire de la situation en Irak ». Pourtant, l’article 15§6 du Statut permet au Procureur d’examiner, à la lumière de faits ou d’éléments de preuve nouveaux, les renseignements qui pourraient lui être communiqué au sujet de la même affaire. Ce qui précède marque donc une nette volonté de rupture avec l’héritage du Procureur Ocampo, très critiqué.

Ce nouvel examen préliminaire vise particulièrement la responsabilité d’agents britanniques pour des crimes de guerre impliquant de mauvais traitements infligés de façon systématique à des détenus en Irak de 2003 à 2008. Bien que l’Irak ne soit pas un État partie au Statut, la Cour pénale internationale est compétente à l’égard des crimes qui auraient été commis sur le territoire irakien par des ressortissants d’États parties, au premier rang desquels figure le Royaume-Uni. Il n’est toutefois pas exclu que l’examen se porte également sur les autres États, parties au Statut et membres de la coalition militaire en Irak, soit : l’Australie, la Pologne, le Danemark, l’Estonie, la Géorgie, la Roumanie, la Bulgarie, l’Albanie, la Lettonie, la République Tchèque et la Bosnie-Herzégovine.

Naturellement, les précautions habituelles de langage ont été respectées. Par conséquent, « il ne sera pris aucune décision à ce sujet avant que le Bureau du procureur n’ait procédé à une analyse approfondie de l’ensemble des renseignements pertinents ». Il est indiqué dans le communiqué de presse que ces renseignements ont été portés à l’attention du Procureur Bensouda le 10 janvier 2014 par les organisations European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) et Public Interest Lawyers (PIL). Il est d’ailleurs pertinent de s’interroger sur l’opportunité de dévoiler l’identité de tels informateurs dans un tel communiqué de presse.

Le jour même, le gouvernement britannique répondait par la voix de son Procureur général, Monsieur Dominic Grieve QC MP. Cette réponse est intéressante à plusieurs égards. A titre liminaire, le Royaume-Uni « rejette complètement » les allégations. Ensuite, le communiqué précise que « British troops are some of the best in the world and we expect them to operate to the highest standards, in line with both domestic and international law. In my experience the vast majority of our armed forces meet those expectations. Where allegations have been made that individuals may have broken those laws, they are being comprehensively investigated. ». Force est de constater l’utilisation d’un vocabulaire spécifiquement adapté à celui de la Cour pénale internationale. En effet, l’attendu respect des plus hauts standards par la vaste majorité des forces armées permet de résoudre le critère de gravité susmentionné. Pour mémoire, c’est ce critère qui avait conduit le Procureur Ocampo à clôturer l’examen préliminaire précédent.  En outre, s’agissant de ceux qui n’auraient pas respecté les plus hauts standards, le Procureur général garantit que des procédures nationales d’enquête sont en cours, ce qui résout le critère de la complémentarité. Pour le cas où cela ne serait pas suffisant, le Royaume-Uni assure de l’indépendance, de la robustesse et du caractère méticuleux des équipes d’enquête. Enfin, il est assuré que ces équipes disposent des ressources nécessaires pour mener à bien leur mandat.

Le vocabulaire utilisé doit être observé à la lumière de l’article 17 du Statut relatif à la recevabilité d’une affaire. En vertu du principe de complémentarité, la Cour ne peut intervenir qu’en l’absence d’enquête ou de poursuite nationales, à moins que l’État en cause n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité, notamment financière, de mener véritablement à bien les enquêtes et poursuites. En l’occurrence, employant chacun des mots clés, tout est fait par le Royaume-Uni pour que la Cour n’enquête pas et que la situation reste au stade de l’examen préliminaire.

Enfin, le Royaume-Uni affirme la continuité de son soutien à la Cour pénale internationale et précise qu’il adressera au Bureau du Procureur « tout ce qui est nécessaire » en vue de démontrer que la justice britannique suit son cours. Phénomène juridiquement passionnant qu’il est impossible de développer ici, le Procureur s’érige en contrôleur de la qualité du système judiciaire britannique dans le cadre du principe de complémentarité.

La réouverture d’un examen préliminaire est une procédure normale prévue par le Statut. C’est l’objet de cette enquête préliminaire : la situation en Irak, qui rend l’affaire extrêmement sensible ; d’autant plus que les allégations visent le Royaume-Uni, l’un des deux membres permanents du Conseil de sécurité parties au Statut de Rome, qui a déjà par le passé reconnu quelques erreurs relatives au théâtre d’opération en Irak par la voix de son Premier Ministre de l’époque, Monsieur Tony Blair.

A ce jour, l’examen préliminaire de la situation en Irak se trouve dans la phase initiale, soit celle de l’analyse de la compétence de la Cour. Si la compétence prima facies est confirmée, le Procureur analysera la recevabilité de l’affaire puis le critère des intérêts de la justice. A la suite de cet ensemble d’analyses, le Procureur décidera s’il existe une base raisonnable pour poursuivre. Si c’est le cas, il demandera à la chambre préliminaire l’ouverture d’une enquête.

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