« La journée de la justice pénale internationale » est, avec « la journée pour la justice sociale », l’une de ces occasions annuelles et universelles qui permettent de communiquer sur un sujet d’intérêt commun. Ces deux journées partagent également, même si leur intitulé ne le précise pas, une vocation internationale (il manque en effet l’adjectif qualificatif « internationale » accolé au substantif « journée »). Bien que sa vocation initiale soit la promotion par diverses formes de communication de la justice pénale internationale, cette journée est aussi l’occasion de dresser un bilan et d’évoquer l’avenir.
C’est d’ailleurs à l’occasion d’un exercice de bilan que la création de cette journée a été décidée. En effet, l’Assemblée des États parties à la Cour pénale internationale, réunie pour la première conférence de révision du Statut de Rome, a décidé « de célébrer dorénavant le 17 juillet, jour de l’adoption du Statut de Rome en 1998, comme la Journée de la justice pénale internationale » (ICC/RC/11/Decl.1). C’est ainsi que la première journée de la justice pénale internationale fut célébrée, le 17 juillet 2010. Mais il a fallut attendre l’année 2011 pour que l’institutionnalisation de cette journée prenne toute son ampleur. Sous l’impulsion du Greffe de la Cour pénale internationale, plusieurs activités avaient été prévues dans la ville du siège de la Cour, La Haye aux Pays-Bas, alors que le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie avaient été associé.
Cette année, quinze ans après l’adoption du Statut de Rome, la journée de la justice pénale internationale n’a visiblement pas la portée souhaitée. En effet, l’universalisme indispensable à ce type d’occasion, souffre sous deux aspects : géographique et matériel. Force est de constater que, géographiquement, la célébration de cette journée demeure limitée, en dehors des quelques États qui soutiennent la cour avec une vivacité permanente. En outre, la journée de la justice pénale internationale n’est pas célébrée par toutes les juridictions pénales internationales. Cette année, seule la Présidence de la Cour pénale internationale a communiqué une déclaration, singulièrement franche, de laquelle peuvent être retenus les éléments suivants :
Il y a d’abord les considérations générales, le Président Song Sang-hyun a évoqué quelques chiffres significatifs : 122 États parties ; 23 mandats d’arrêt ; 9 citations à comparaître ; 12 000 demandes de personnes souhaitant participer aux procédures en tant que victimes ; Plus de 5 000 victimes participent effectivement aux procédures devant la Cour ; plus de 9 000 demandes en réparation ; 80 000 victimes de crimes relevant de la compétence de la Cour ont reçu de l’aide par le truchement du Fonds au profit des victimes. Puis, il y a les défis majeurs. La Présidence a précisé : « il ne faut pas se leurrer. Les menaces qui pèsent sur la Cour pénale internationale sont tout aussi réelles que par le passé ». C’est ainsi que le Juge Song établit des distinctions entre les défis :
Tout d’abord, il y a ceux qui « refusent de coopérer ». En effet, la Cour pénale internationale ne dispose pas de moyens coercitifs en dehors des locaux de son siège et du quartier pénitentiaire de Scheveningen. Le défaut de coopération correspond à la violation d’obligations internationales, inscrites dans le Statut de Rome ou dans d’autres sources normatives externes à la Cour. Ce défaut de coopération a actuellement pour conséquences de laisser 10 personnes faisant l’objet de mandats d’arrêt émis par la Cour se soustraire à la justice. Il s’agit, classées par ordre alphabétique de situations de : MM. Ahmad Harun et Ali Kushayb (depuis 2007), Omar Al Bashir (deux mandats d’arrêt, depuis 2009 et 2010) et Abdel Raheem Mohammed Hussein (depuis 2012) situation au Darfour ; MM. Saif Al-Islam Kadhafi et Abdullah Al-Senussi (depuis 2011) situation en Libye ; MM. Vincent Otti, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen (depuis 2005) situation en Ouganda ; M. Sylvestre Mudacumura (depuis 2012) situation en République démocratique du Congo. Il convient de souligner que la non-exécution des mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale n’affecte pas seulement le bon déroulement de ses procédures judiciaires. Elle constitue également une forte atteinte à la crédibilité de la Cour, en tant qu’institution, ainsi qu’à deux de ses fonctions principales : mettre fin à l’impunité en punissant les auteurs des crimes relevant de sa compétence ainsi que réparer le préjudice des victimes desdits crimes.
Ensuite, le Président Song évoque ceux « qui doute de l’utilité » de la Cour. Cette affirmation recouvre l’ensemble des personnes et institutions qui émettent, plus ou moins publiquement, des doutes sur l’utilité de la Cour. Cette utilité doit se mesurer à la lumière du caractère audacieux des objectifs de la Cour et à plusieurs égards. En effet, la Cour est utile si elle remplie correctement les fonctions qui lui ont été données. Les fonctions statutaires principales sont au nombre de trois : répression et fin de l’impunité pour les auteurs des crimes relevant de la compétence de la Cour ; participation et réparation pour les victimes de ces crimes ; dissuasion et prévention de ces crimes. Sur ces trois points, le bilan de la Cour est, à ce stade, très controversé. En outre, ces fonctions doivent être remplies correctement. Les délais et l’équilibre des procès, la qualité des enquêtes à charge et à décharge, ou encore le simple respect du principe de légalité sont autant d’éléments d’appréciation.
Enfin, il y a ceux qui « tentent de saboter le mouvement de promotion de la justice internationale » et qui « politisent son action ». Il s’agit là de l’argument récurrent selon lequel la Cour pénale internationale serait en réalité un instrument de politique étrangère des États puissants ainsi qu’un moyen indirect pour eux de s’ingérer dans les affaires intérieures d’États faibles, majoritairement africains. Sur le premier point, il est a priori formellement impossible pour une institution judiciaire impartiale et indépendante de recevoir des instructions ou de prêter attention à des considérations politiques. La réalité est naturellement plus nuancée, tant il est également impossible pour la Cour de mener à bien son action sans les soutiens politique, financier et logistique de certains États qui ont, par nature, les moyens de les lui pourvoir. Ainsi, on peut questionner la valeur des arguments donnés par le Bureau du Procureur de la Cour au regard de ses propres critères qu’il a rendu public, à propos des décisions de retenir ou mettre de côté, parfois définitivement, une situation. Selon certains éminents auteurs, il manque à la Cour pénale internationale un « Pinochet’ moment ». Celui-ci pourrait, par exemple, prendre la forme d’une demande d’ouverture d’enquête sur les agissements de la Force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan.
Sur le point de savoir si le continent africain est la cible de la Cour pénale internationale, il convient de s’interroger sur le déclenchement de l’action de la Cour portant sur les situations se trouvant sur le territoire de l’Afrique. En effet, sur les 8 situations portées actuellement devant la Cour, 8 recouvrent des faits qui auraient été commis sur le continent africain. Toutefois, et il y a lieu de le mettre en exergue, 5 sur 8 ont été déférées à la Cour par les États eux-mêmes : la Côte d’Ivoire, le Mali, l’Ouganda, la République centrafricaine et la République démocratique du Congo. Pour cette proportion, ce n’est donc pas la Cour qui a choisi l’Afrique mais l’Afrique qui a choisi la Cour ; tout d’abord en ratifiant le Statut de Rome, ensuite en sollicitant ses services. La situation au Kenya est, à ce stade, la seule ouverte à l’initiative du Procureur. Les situations au Darfour et en Libye ont quant à elles été déférées à la Cour par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Sur ce dernier point, il n’est pas douteux que l’implication du Conseil de sécurité dans les activités de la Cour s’accompagne automatiquement d’un caractère politique affirmé. En effet, le Conseil de sécurité est – et a toujours été – un organe ayant une nature et une fonction éminemment politiques. Les relations entre la Cour pénale internationale, l’Assemblée des États parties au Statut de Rome et le Conseil de sécurité des Nations Unies font l’objet de vives discussions entre les États. Ceci particulièrement depuis la résolution par laquelle le Conseil de sécurité a saisi le Procureur de la Cour de la situation en Libye (S/RES/1970).
Au total, en 2013, la « journée de la justice pénale internationale » n’est en réalité et à ce stade que la journée de la Cour pénale internationale. Souhaitons qu’elle puisse être, à l’avenir, partagée par l’ensemble des acteurs publics et privés de la justice pénale internationale, sur une étendue géographique en rapport avec sa vocation universelle. Souhaitons également qu’elle soit une occasion de réfléchir au principe de Justice internationale dans un esprit de sincérité, permettant d’apprendre du passé et de trouver des solutions innovantes aux problèmes rencontrés.